07.10.2013 Open Letter to Manuel Valls (in French)

Monsieur le ministre,

Qu’un ministre de la république démontre son incompréhension d’un dossier au travers de ses propos n’est malheureusement pas rare. Mais que ceci constitue un dérapage fondamentalement raciste est une chose qui après les épisodes de Vichy ne devrait plus arriver. Qu’un immigré, à priori une personne qui théoriquement devrait être plus sensible aux discriminations, dise « Ces populations ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres » et « ne souhaitent pas s’intégrer dans notre pays pour des raisons culturelles » n’est simplement pas acceptable.

Auriez-vous dit des choses similaires si vous aviez parlé de Juifs ou d’une autre minorité? Certainement pas. Alors pourquoi avec les Roms? Si vous aviez pris le temps de penser quelques secondes à vos propos avant de les dire, vous auriez peut-être évité de dire des choses qui rappellent trop les commentaires et propos antisémites dont la France a malheureusement abusé. En parallèle et pour la citation, Proudhon a écrit en parlant des juifs: « cette race qui envenime tout, en se fourrant partout, sans jamais se fondre avec aucun peuple »[1] ce qui n’est pas forcément loin de vos propos sur l’intégration des Roms. Même Jaurès dit à leur propos « Dans les villes, ce qui exaspère le gros de la population française contre les Juifs, c’est que, par l’usure, par l’infatigable activité commerciale et par l’abus des influences politiques, ils accaparent peu à peu la fortune, le commerce, les emplois lucratifs, les fonctions administratives, la puissance publique »[2] ce qui n’est pas sans rappeler la litanie des maux que l’on attribue en France en ce moment aux Roms.

Il y a des Roms visibles, ceux qui se conforment à l’idée que vous en avez, ceux qui voyagent, qui vivent dans la pauvreté, ont beaucoup d’enfants, et qui dans vos pensés sont sans aucun doute aussi des voleurs et des mendiants; et il y a des Roms moins visibles, ceux qui sont intégrés. Et il y en a beaucoup et depuis très longtemps. Plus que les quelque 15,000 qui campent dans des bidonvilles en France. Après tout, si 12 millions de Roms en Europe se conformaient à vos stéréotypes, ils seraient un peu plus à camper autour des villes de France.

De dire en plus qu’ils « ne souhaitent pas s’intégrer dans notre pays pour des raisons culturelles » va beaucoup plus loin. Il y a d’abord ceux qui sont intégrés et que vous ne voyez même pas, et, parmi les Roms qui campent dans des bidonvilles, beaucoup souhaitent une vie meilleure, un travail, veulent que leurs enfants aillent à l’école, et c’est même la raison principale de leur départ de leur patrie. Les Roms ont démontré, un fait historiquement établi, qu’ils se sont intégrés partout où on leur en a donné la possibilité. Il faut malheureusement bien dire que la France ne fait pas partie de ces pays, les ayant pourchassés, déportés et tués rendant la France presque « Zigeunerfrei » pour utiliser un terme plus récent et ce déjà au 16eme siècle et jusqu’à l’arrivée des Sinti allemands (manouches) avec les armées allemandes vers 1870. Ceux-ci ne sont encore que tolérés en France.

Que vous ne désiriez pas d’immigration de masse, que vous ne tolériez pas de campements illégaux est une chose. Que vous assimiliez des problèmes sociaux comme la pauvreté, la mendicité, la criminalité etc. à ceux d’une ethnie en est une autre. La première est une politique – votre choix. La seconde est tout simplement du racisme et n’est par conséquent pas acceptable de la part d’un ministre de la république.

Contrairement à ce que vous dites, l’intégration est la solution. Et ce, dans toute l’Europe. Les Roms sont une minorité transnationale Européenne, et toute solution, si problème il y a, l’est forcément aussi. 

Généraliser le problème social d’un petit pourcentage d’une ethnie et en faire un problème de race, comme vous l’avez fait dans vos propos n’a jamais créé aucune solution durable, et au contraire pousse au nettoyage ethnique et au génocide.  Que vous vouliez faire respecter les lois peut être compréhensible, mais la connotation implicite de vos propos ne l’est pas.

Si vous désirez de plus amples informations moins teintées de préjudices, nous sommes bien évidemment à votre disposition.

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de mes salutations respectueuses.

 

[1] Pierre-Joseph Proudhon, 24 décembre 1847, dans Carnets de Proudhon N° 6 p. 178 Journal personnel, non destiné à être publié, paru chez Marcel Rivière (TOME II), 1961, p.337, publié sous la direction de Pierre Haubtmann.

[2] Jean Jaurès, 1898, Discours au Tivoli, dans Un journal des journaux, paru chez Créer, 1997, p.87, Pierre Feuerstein.

 

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